Ciné-conférence à Paris, le 3 février 2024




Quatre jours. Ascension depuis le glacier Marconi.


Du 29 octobre au 1er novembre.

Deux jours d'approche jusqu'au camp de base, puis deux jours sur le glacier Marconi, peu visité. Découverte de la météo patagonienne avec ses vents violents en rafales. Montée à un col, sans nom, qui n'a probablement jamais été visité. Depuis le col, ascension, par une face délicate en mixte neige/glace, du sommet central d’une crête sommitale, cent mètres au-dessus de ce col.

J'ai surtout pris des films, mais peu de photos. Ci-dessous et dans « Lire la publication suivante », quelques images.

Les cents derniers mètres au dessus du col, qui conduisent à la crête sommitale.


L’itinéraire jusqu’au col, puis sur la crête sommitale au nord du col. Pas d’ascension préalable connue de ces deux points.

 

29 octobre : marche d'approche. Camp 1.

Nous partons, avec Gabriel et Carlitos qui nous accompagne et nous aide au portage, jusqu'au camp de base, en véhicule 4X4. Nous remontons vers le nord, sur une quinzaine de kilomètres, la Ruta 23, qui est en fait une piste, et qui est située dans la vallée Rio de Las Vueltas, le long de la rivière du même nom.

À l'embranchement avec le Rio Electrico (« rio », traduction espagnole de rivière), nous démarrons la marche. Nous nous déplaçons plein ouest le long du rio Electrico, au sein d'une forêt composée principalement d'arbres pareil au hêtre.

Gabriel me donne quelques explications sur ces arbres, et j'aurai des compléments dans le refuge où nous allons nous arrêter dans quelques instants. Ce sont des « lengas » ; des arbres à feuilles caduques, relativement imposants et bas, de la famille des Nothofagus. Au sein de cette forêt, on rencontre de plus quelques ñires, qui sont aussi de la même famille, de plus petites tailles que les lengas, et qui se trouvent principalement à la frontière entre la zone de steppe et la forêt. Ces arbres produisent des champignons, qui sont comestibles et dont les Indiens se nourrissaient. On retrouve ces arbres en Terre de Feu, Nouvelle-Zélande, Australie, Tanzanie ; toutes ces régions étaient en effet soudées par l'Antarctique jusqu'à il y a quelque 220 millions d'années, période à partir de laquelle ce continent commença à se fragmenter.

Nous rejoignons en 1 h 30 un refuge, nommé Refugio del Troncos sur ma carte, mais en fait appelé Refugio Piera Del Fraile ou Pierre du curé, en mémoire du padre italien d’Agostini, qui a été un des premiers à explorer cette région. Nous nous y arrêtons un moment pour boire un thé. Ce refuge marque la limite de la forêt. À la sortie de cette dernière, nous rejoignons le lac Electrico. Le mauvais temps patagonien arrive rapidement, avec ses vents violents et de la pluie, presque neige. À l'extrémité du lac, le long d'une falaise qui se veut protectrice, nous implantons la tente.

30 octobre : poursuite de la marche d'approche. Camp de base.

La météo est instable, les prévisions annonçaient pourtant du beau temps pour ces trois jours. Nous attendons le milieu de la journée pour aviser — poursuivre notre marche d'approche ou redescendre — car ceux qui connaissent la Patagonie savent bien que rien ne sert de s'obstiner dans cette région lorsque le temps se met au mauvais. Vers 12 heures, nous décidons finalement de poursuivre jusqu'au glacier, avec l'espoir que le beau temps va finalement l'emporter.

Sous des vents violents en rafales, jusqu’à 80 km/h, nous remontons un pierrier, puis rejoignons la base du glacier Marconi. Celui-ci, qui s'étend sur trois kilomètres de large et une dizaine de kilomètres de long, orienté nord-sud, est indépendant de l'Helio Continental. À son nord, la Marconi Pass, qui permet d'accéder à l'Helio Continental, et à son sud, le mont Ricon. Le glacier n'est pas très visité, car, selon Gabriel, les grimpeurs qui viennent dans la région sont plutôt attirés par les montagnes monolithiques en granite, emblématiques du coin, tels le Fitz Roy et le cerro Torre. 

Le vent a encore forci, et ses rafales nous empêchent d'avancer. Au pied d'un rocher, nous implantons la tente. Toute la nuit, rafales de vent et chutes de neige font trembler notre tente. J'aime ces conditions météorologiques, dynamiques et fortes. Nous avions prévu de nous lever dans la nuit pour réaliser notre ascension, ce fut inutile.

31 octobre. Mauvaise météo : journée au camp de base.

Le lendemain matin, le ciel ne daigne même pas nous offrir un aperçu sur les montagnes qui nous entourent. Nous sommes pourtant impatients d'avoir une visibilité sur une aiguille que nous avons découverte sur une photo que m'avait envoyée un Argentin il y a quatre ans, et sur les cartes. Elle pourrait être un objectif possible. Sur la photo, cette aiguille présente une face bien inclinée, orientée ouest, voire nord-ouest, qui semble être en neige. Mais absolument aucune certitude, il est nécessaire que nous la voyions de nos yeux.

Dans le milieu de l'après-midi, le ciel se dégage enfin par moments, et ces éclaircies nous permettent de découvrir le monde qui nous entoure, A l'est le cerro Polone et le Torre Pier Giogio, leurs gigantesques faces de granit sont impressionnantes.

À l'ouest, nous distinguons le col où nous souhaitons nous rendre ; en revanche, pas de visibilité sur la face de l’aiguille qui pourrait être notre objectif. Il nous faudra monter au col pour la voir et nous rendre compte si elle est réellement accessible.

Au camp de base.

1er novembre. Montée au col et ascension d'une crête sommitale. Retour à El Chalten comme prévu.

1 h 30 du matin, le ciel est étoilé, pas de vent. Avec Gabriel, nous nous préparons. À 3 heures, nous partons en direction du col. Nous rejoignons en une demi-heure la base du glacier, et le remontons. La neige est relativement portante en cette heure matinale. Nous évoluons sur un glacier bien crevassé. De courts ressauts en glace. Des nuages arrivent de l’ouest. Bonne forme physique, ce qui fait plaisir.

Sous le col.

Dans la montée au col.

Dernières pentes à 45°, et nous rejoignons le col. Nous sommes à la frontière avec le Chili. Ce col n'a très probablement jamais été visité jusqu'à présent. À notre ouest, côté Chili, le champ de glace de l'Helio Continental, une mer de glace avec au loin ses montagnes enneigées, gigantesque !

Nous découvrons la face enneigée de l'aiguille de notre éventuel objectif. Une première pente, bien inclinée en glace, est tout à fait faisable. En revanche, la suite est d'une tout autre difficulté : une paroi verticale couverte d'une neige bien caractéristique de cette région, que nous imaginons sans consistance. Trop de risques, on n´y va pas. Légère déception, mais ce sont les joies et l’attrait d'aller à la découverte de l'inconnu, de l’exploration !

 

Nous nous trouvons un autre objectif.

À notre nord, juste au-dessus de nous, une centaine de mètres plus haut, ce qui semble être une crête sommitale, qui protège son accès par une face délicate en mixte, rocher et neige. Nous décidons d'aller voir. Une première pente en glace à 65°, puis un passage en mixte (M3), suivi de deux ressauts en mixte (M4/M4+), et nous débouchons sur la crête sommitale, pas d´ascension préalable connue. En quelques pas, j’accède à l´une des pointes de cette crête, qui nous apparaît comme son sommet central. Il est 9 h 30 environ, le ciel s'est dégagé, nous ne devons pas tarder à redescendre, car les conditions de neige vont rapidement se détériorer dans les pentes en dessous du col.

Vue, depuis le col, sur les cents derniers mètres

 

Les cents derniers mètres : notre itinéraire est dans le mixte (neige et rocher), dans la partie gauche du gros bloc.

Sur la crête sommitale, son sommet central.

Descente en rappel jusqu'au col. Un autre rappel dans la première partie de la redescente sous le col, puis nous redescendons vers le camp, avec vigilance en raison des crevasses, et ce d'autant plus que, comme nous nous en doutions, la neige s'est transformée depuis notre passage à la montée, elle s'est ramollie et, de ce fait, les ponts de neige se sont fragilisés. Retour au camp de base.

En raison de la metéo, nous avons perdu un jour. Mais nous devons redescendre aujourd´hui à El Chalten, car nous avons prévu pour quatre jours notre logistique, et de plus le véhicule nous attend ce soir sur la route. Nous démontons le camp, et redescendons jusqu'à la route, que nous atteignons à 19 h 30. Notre véhicule 4X4 nous y récupère pour nous conduire à El Chalten.

Henry Bizot