Ciné-conférence Explorations dans la chaîne Trans Alaï, 3 février 2024, Forum des images, Paris 1er




Cinq jours. Ascension de l'aiguille Dumbo par une nouvelle voie


Nous sommes rentrés le mardi 10 novembre en fin d'après-midi à El Chalten avec mes deux compagnons argentins, Gabriel et Carlitos, après ces cinq jours dans les montagnes des Andes de Patagonie. Le 9 novembre, avec Gabriel, nous avons atteint le sommet du cerro Dumbo, dans la chaîne Marconi, par un nouvel itinéraire dans sa face sud. Le cerro Dumbo est une montagne splendide qui attire le regard, et qui a été gravie une seule fois par des Slovènes, il y a deux ans, par un itinéraire différent.

L'itinéraire est splendide, esthétique et logique, délicat sur les dernières longueurs. En l'absence d'ascension connue, nous l'avons baptisé, comme prévu, la voie André et Sophie.

Déroulement général :

– 6 novembre. Montée en 4 heures à un camp 1 à l'ouest du lac Electrico.

– 7 novembre. Montée en 3 heures à un camp 2, avant la Marconi Pass.

– 8 novembre. Montée en 4 heures à un camp 3, sur l'Helio Patagonico Continental, à l'ouest du cerro Dumbo.

– 9 novembre. Ascension du cerro Dumbo par un itinéraire dans sa face sud, sous une météo instable qui nous a pas mal inquiétés ; ici, le temps peut très rapidement se dégrader pour devenir épouvantable, notamment avec les vents. Partis à 4 heures, nous avons atteint le sommet vers 10 heures. Redescente en rappel. Retour au camp 3 vers 15 heures. Démontage du camp, puis déplacement retour durant quatre heures sous des conditions météo qui se sont rapidement dégradées, avec des vents très violents en rafales. Installation difficile d'un camp dans des rochers, nuit dans une tente endommagée par le vent, dans l'humidité et le bruit assourdissant des rafales de vent.

– 10 novembre. Retour à El Chalten en 6 heures 30.

Face est du cerro Dumbo au centre de la photo. Vue que j’ai prise en redescendant vers le glacier Marconi, lors de notre précédente sortie, et qui nous aura bien aidés.

Face ouest du cerro Dumbo.

Face ouest du Cerro Dumbo.

La voie André et Sophie en face sud du Cerro Dumbo (2484 m).

La partie finale de la voie.

6 novembre. Camp 1 au bord et à l'ouest du lac Electrico.

Avec Gabriel, et Carlitos qui nous aide au portage jusqu'au camp de base, nous retournons sur l'emplacement du camp que nous avions établi, peu avant, à l'extrémité ouest du lac Electrico. Beau temps, soleil et pas de vent. 

Nous retraversons tout d'abord la forêt patagonienne. La première fois que nous l'avions traversée, il y a quelques jours, sous le mauvais temps, elle avait l'allure d'un véritable champ de bataille, avec tous ses arbres, les lengas, en lutte perpétuelle face à l'agressivité quasi permanente des vents patagoniens, fracassés, tordus, à terre. Aujourd'hui, avec le beau temps, cette forêt verdoyante prend l'apparence d'une forêt enchantée. Nous rejoignons le refuge Piedra Del Fraile, où nous retrouvons les sympathiques gérants. Puis quelques mètres après, nous quittons la forêt, sécurisante et apaisante, pour basculer dans l'univers, plus austère, des pierriers qui longent la rivière Rio Electrico, puis le lac du même nom dont est issue la rivière. Quatre heures environ après notre départ, nous montons notre tente au bord du lac.

Non, ce n´est pas la forêt de Brocéliande, mais la forêt de Patagonie avec ses lengas.

7 novembre. Camp 2 sur les pierriers avant la passe Marconi.

Lorsque nous quittons le camp, vers 8 heures, le ciel est dégagé. Mais rapidement, il va se couvrir, il se met à pleuvoir, le vent se lève. Privés de la vue de l'environnement qui nous entoure, nous rejoignons le glacier Marconi, son extrémité nord qui rejoint la passe Marconi.

Cette partie du glacier est relativement fréquentée, car elle permet de rejoindre cette passe pour rejoindre l'Helio Patagonico Continental (calotte glaciaire continentale patagonienne) au Chili. Sinon ce glacier, qui est bordé à son ouest par la chaîne Marconi, est peu fréquenté. Nous y avions établi notre camp, quelques jours auparavant, d'où nous avons réalisé une ascension. À noter que le glacier Marconi ne fait pas partie du parc national des Glaciers, car ses glaces ne sont pas issues du grand champ de glace de l'Helio Patagonico Continental. Rappelons que le parc national des Glaciers a été créé par l'Argentine pour protéger une partie de l'Hélio Patagonico (celle du côté argentin), ainsi que les autres glaciers alimentés par ce grand champ de glace.

Nous remontons le glacier, puis escaladons une partie rocheuse sur cent mètres de dénivelée environ, avec vigilance, car le rocher est bien trempé avec cette pluie. Nous montons notre tente dans une zone rocheuse. Face à nous, les séracs (blocs de glace) de la partie du glacier située sous la montagne du Marconi Norte n'arrêteront pas de tomber, se fracassant avec un bruit terrifiant dans les pentes inférieures.

8 novembre. Camp 3 sur l'Helio Patagonico Continental (1 450 mètres), à l'ouest du cerro Dumbo (2484 m).

Nous partons pas trop tard, vers 6 heures, afin de bénéficier d'une neige portante sur le glacier. Nous franchissons la Marconi Pass et pénétrons au Chili. Apparaît à nos yeux un gigantesque champ de glace, qui s'étend à perte de vue, plat et dominé, par endroits, par des chaînes de montagnes qui paraissent gigantesques. Un monde inhumain, balayé par des vents violents.

Nous pénétrons sur l'Hélio Patagonico Continental (calotte patagonienne continentale), le plus grand champ de glace continental et le troisième de la planète avec ses 17 000 km2, divisé en deux zones, la calotte patagonienne nord, située au Chili et d'une superficie de 4 200 km2, et la calotte patagonienne sud qui couvre une superficie de 13 000 km2. Cette dernière est partagée entre le Chili et l'Argentine, et mesure 360 kilomètres de long sur 40 kilomètres de large en moyenne, 90 kilomètres à certains endroits. Ces immenses superficies alimentent plusieurs langues glaciaires qui coulent des deux côtés des Andes, à l'ouest vers le Pacifique, et à l'est dans les grands lacs de la Patagonie d'Argentine, citons notamment les lacs Viedma et Argentino, que j'avais longés lors du déplacement en bus d'El Calfate vers El Chalten. Référence de ces informations sur l'Helio Patagonico : Manuel du lago Argentino et du glacier Perito Moreno, de Miguel Angel Alonso, que j'ai trouvé, en langue française, dans une librairie d'El Chalten. 

Nous longeons, à son ouest, la chaîne Marconi, sur laquelle nous avons peu de visibilité en raison des nuages. Quatre heures après avoir quitté le camp 2, nous montons notre tente. Nous sommes situés plein ouest du cerro Dumbo qui est notre objectif. Malheureusement, la montagne se protège de notre vue par des nuages, et ne se dévoilera pas un instant de la journée.

Le cerro Dumbo a été gravi une seule fois par Dejan Koren et Boštjan Mikuž (Slovénie) en novembre 2013, par un itinéraire situé à gauche de celui que nous voulons emprunter. Très peu d’informations sur cette tour de rocher et de neige, dont le sommet ressemble à une oreille d'éléphant, d'où son nom cerro Dumbo. Et encore moins d'informations sur l'itinéraire que nous voulons tenter dans sa face sud. Nous disposons des documents suivants :

– ma carte au 1/50 000,

– un topo de la voie ouverte par les Slovènes, sur PataClimb, un site de Rollando Garibotti très bien renseigné et clair,

– et aussi trois photos ; une que j'ai pu prendre lorsque nous avons fait notre première ascension il y a quelques jours dans la chaîne Marconi, depuis son versant est, sur laquelle on distingue relativement bien les parties finales de la face sud, et qui aura été bien utile ; une autre sur le site PataClimb, qui montre sa face ouest ; et une qui présente une vue d'ensemble sur laquelle on voit bien le début de la voie, mais les parties finales ne sont pas bien visibles. 

Des incertitudes sur l'itinéraire que nous souhaitons gravir, et aussi sur le temps pour demain. Les prévisions annonçaient une journée de beau temps, mais à voir. Hors de question de se retrouver demain dans le grand mauvais temps patagonien, ce d'autant plus sur une montagne à propos de laquelle nous avons très peu d'informations, et de plus sur un itinéraire nouveau. 

 

La nuit, vers 2 heures, je sors de la tente, et suis satisfait de voir que le ciel est étoilé.

9 novembre. Ascension du cerro Dumbo (2 484 mètres) par un nouvel itinéraire dans sa face sud. Retour au camp 2.

Réveil à 3 heures. À 4 heures, avec Gabriel, nous partons. La nuit est noire, sans lune, mais le ciel ne paraît pas aussi dégagé qu'à 2 heures. Nous remontons, plein est, sur une pente en neige peu inclinée sur un glacier, une neige dans laquelle nous nous enfonçons bien malgré l'heure matinale (voir la suite)… Puis, 400 mètres plus haut que la tente, une cinquantaine de mètres sous un col, altitude du col 1 842 mètres sur ma carte au 1/50 000, nous sommes au pied du Dumbo.

Nous remontons plein nord, une pente à 45° environ, avec des passages à 50°. Puis nous franchissons la rimaye, peu ouverte par chance, et nous engageons dans un couloir en neige/glace, qui serpente dans la face sud de la montagne, et inclinée de 45° à 55°. La neige est dure, parfois en glace, ce qui nous rassure. En revanche, le temps est bien couvert, avec quelques éclaircies, le vent est assez fort. Nous sommes perplexes et à chaque longueur de corde, nous repoussons pour un peu plus haut notre décision. Pourtant, les prévisions annonçaient du beau. 

Dans les pentes au début de la face sud.

Arrivée dans le couloir.

Dans le couloir.

Une dernière pente d'une centaine de mètres, inclinée à 65°, puis nous débouchons sur un petit col. Nous poursuivons notre ascension sur une centaine de mètres, par une arête bien effilée, et inclinée de 50° à 65°. Vues plongeantes de 1 000 mètres, à notre gauche sur le champ de glace, et à notre droite sur le glacier Marconi. 

Débouché sur le col.

Sur l'arête après le col.

Sur l´arête.

Puis, nous remontons, en longeant en contrebas à son ouest, une portion de l'arête sommitale, en neige/glace et en mixte, qui surplombe les 1 000 mètres de la face ouest jusqu'au plateau. Un passage délicat qui a exigé de l'attention. 

Dans la traversée en face ouest, en contre-bas de l'arête sommitale.

Puis un passage de quelques mètres, à 75° environ, nous permet de rejoindre l'arête sommitale, où apparait le sommet, quelque cent mètres plus loin devant nous, plein nord. Nous hésitons un peu à nous y rendre, car l'arête est bien cornichée, puis, finalement, nous décidons d'aller voir. 

Après ces 1 000 mètres d'ascension, vers 10 heures, nous atteignons le sommet du Cerro Dombo (2 484 mètres). 

Très heureux, après toutes les incertitudes de ces derniers jours, et lors de cette ascension ! Depuis le sommet, les vues sont extraordinaires. Juste à proximité, devant nous, au nord, une fine aiguille de roc, couverte de neige, suivie d'autres, toutes aussi belles. À notre ouest, sur le glacier Helio Patagonico, et à notre est sur le glacier Marconi. Mais il nous faut redescendre rapidement, car nous craignons la météo. Nous désescaladons l'arête, la traversée, puis l'arête que nous avions remontée depuis le col. Quatre rappels pour redescendre le couloir, laissant sur place deux corps-morts et deux piquets. Nous rejoignons le camp vers 15 h 30. 

Sur l'arête qui conduit au sommet.

Sommet.

Sommet. Juste à côté de nous, au Nord, une aiguille magnifique, puis d'autres.

Dans la descente dans le couloir.

À 17 heures, nous repartons avec l'intention de redescendre au camp au bord du lac. Au début de notre progression, le beau temps domine, nous offrant des vues splendides sur le Dumbo, et les aiguilles à son nord.

Notre petite équipe, souvenir de cette expédition réussie dans la chaîne Marconi en Patagonie.

Mais rapidement le temps va se gâter, la visibilité va devenir quasi nulle, les chutes de neige vont s'intensifier, et surtout un vent violent en rafales va se lever lorsque nous arrivons en dessous de la passe Marconi. Notre progression va devenir difficile dans cette tempête, et nous devons rester vigilants, car le glacier est crevassé, et les ponts de neige sont fragiles en ce printemps austral. Il est 21 heures, nous sommes partis depuis quatre heures du camp, nous nous arrêtons dans la zone de rochers où nous avions établi le camp 2 à la montée. La montée de la tente est épique avec ces vents qui doivent être de l'ordre de 100 km/h. Les arceaux se cassent. Finalement nous passerons la nuit dans une tente sans arceaux, le toit de la tente au-dessus de nos visages, une tente qui va être agressée toute la nuit par le vent, sous un bruit assourdissant. Bref, une nuit qui fut plutôt humide, bruyante, mais j'ai pu un peu dormir. 

 

10 novembre. Redescente à El Chalten.

 

Vers 8 heures, nous quittons la zone, et nous redescendons la zone rocheuse à l'aide de rappels. Marche sous des vents violents. 6 h 30 après notre départ, nous rejoignons la route et contactons un véhicule qui vient nous récupérer pour nous conduire à El Chalten.

Cette voie d'accès au sommet du cerro Dumbo est logique, diversifiée, et particulièrement esthétique. 

En l'absence d'ascension connue, la voie est dédiée à mes amis lyonnais et baptisée voie «  André et Sophie ». En hommage également à leurs six enfants, à leur courage et leur force exceptionnelle face à la très grave maladie d'André.

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Henry Bizot