Ciné-conférence Explorations dans la chaîne Trans Alaï, 3 février 2024, Forum des images, Paris 1er




17 nov. Montée sur le champ de glace Nord et ascension d'une pointe vierge


La tempête a sévi jusqu’à minuit puis, comme prévu, elle s’est arrêtée, pour laisser la place à un ciel étoilé.

Gabriel et moi-même profitons de cette journée précieuse et rare de grand beau temps, pour nous rendre sur le champ de glace Nord, et aussi y tenter directement, sans camp intermédiaire, une ascension : lire la journée d’hier, du 16 novembre. Nous avions prévu, dans nos plans initiaux, de tenter une ascension depuis un camp que nous voulions implanter sur le plateau du champ de glace, mais nous avons abandonné cette idée, car elle risque fort de compromettre toute tentative d’ascension, compte tenu des prévisions météo dans le créneau qu’il nous reste.

3 heures, réveil. 4 h 30, nous partons. Le froid est mordant.

Nous remontons tout d’abord sur le glacier, avec vigilance, car ses nombreuses crevasses sont en partie recouvertes de neige tombée ces derniers jours. Nous débouchons sur des pentes qui nous paraissent chargées en neige, mais une ligne de crête permet d’évoluer en sécurité.

Et nous débouchons sur le col. Heureux d’avoir franchi cette première étape !

Le jour se lève, avec ses couleurs jaunes et orangées qui se reflètent sur la blancheur des montagnes qui nous entourent.

Nous pénétrons sur le plateau du champ de glace. Un univers magique, un désert de glace, de 120 kilomètres de long nord-sud, sur 50 kilomètres de large est-ouest, qui paraît infini. En termes de profondeur, une étude (*) conclut que les glaciers San Rafael et Colonia, qui sont issus de ce plateau, ont une profondeur de 1 000 mètres. Au loin, à l’horizon, émergent des montagnes gigantesques, aux parois vertigineuses, embellies par la neige de ces derniers jours. Un monde fascinant, froid et inhumain, qui se protège des visiteurs par ses accès difficiles, et qui nous a ouvert ses portes. Nous sommes très certainement les seuls à le fouler. Nous évoluons dans une neige profonde, sur une longue distance, tout d’abord sur un plateau, puis sur une ligne de crête que nous remontons. Nos regards sont attirés par les paysages qui nous entourent. Je découvre, dans la réalité et leur environnement, les montagnes que j’avais appris à connaitre sur les cartes, le Cachet est et le Cachet ouest, Gargantua… et le Pantagruel, une montagne esthétique, élancée, aux parois bien verticales. Sa face nord n’est pas visible, nous espérons qu’elle sera praticable. 

Nous parvenons au pied du Pantagruel, sur un petit col qui offre des vues dominantes et spectaculaires sur le champ de glace. Comme nous le craignions, sa face nord est recouverte d’une neige sculptée par les vents des tempêtes de ces derniers jours. Ce type de neige est assez atypique pour moi, même si j’en sais les dangers par mes lectures. Gabriel, qui se rend depuis un certain nombre d’années à El Chalten, la connaît. De plus, il y a la météo, avec cette nouvelle tempête annoncée en début de soirée. Trop de risques, nous décidons de ne pas y aller. Nous le regrettons, car nous discernons une ligne de faiblesse dans cette face, qui devrait a priori être faisable… lorsque se présente dedebonnes conditions. Mais compte tenu du climat subi, les montagnes de cet univers parviennent-elles à offrir ces conditions ? Cela doit être rare, comme en témoigne le nombre de sommets sans nom et inviolés. On peut comprendre le faible nombre de visiteurs. Gabriel me disait qu’un de ses amis, Camillo Rada, qui a fourni des informations intéressantes sur la zone, y est venu il y a quelques mois, plus au sud, à proximité de la montagne Cachet, et qu’il n’a absolument rien pu faire, n’ayant pu bénéficier que d’un seul jour de beau temps. Voilà, néanmoins, une petite déception !

Nous sommes venus jusqu’ici, il nous faut faire quelque chose. À notre nord, entre le Pantagruel et le Gargantua, une arête sans difficulté technique, en neige transformée par les vents et caractéristique de la Patagonie, qui devrait déboucher (?), 100 mètres plus haut, sur un joli sommet sans nom en forme de pointe. L’arête nous semble protégée. Nous décidons d’aller voir et de tenter. Nous parvenons au sommet. Gabriel et moi-même, nous sommes satisfaits, après toute cette préparation de ces douze derniers mois, après toutes ces incertitudes, du peu d’informations que nous étions parvenus à trouver sur cette partie centre-est du plateau du champ de glace, des conditions météo depuis notre arrivée dans la zone (sans compter cet abcès dentaire à Coyhaique qui n’a pu être résolu malgré l’intervention d’un dentiste chilien : voir les journées du 30 et du 31 octobre puis du 6 novembre). Mais le ciel était avec nous aujourd’hui, il nous a permis, dans des conditions météo idéales, de pénétrer sur le champ de glace, et de réaliser cette ascension. Nous avons parcouru depuis la tente 1400 mètres de dénivelée sur une dizaine de kilomètres.

Avec l’accord de Gabriel, en l’absence d’ascension connue, nous baptisons le sommet la pointe Anne. Je suis heureux de pouvoir dédier cette ascension et ce sommet à Anne, 7 ans, porteuse de la trisomie 21, et via Anne, à ses parents qui ont fait le choix de l’adoption, et aussi, comme suggéré par ces derniers, à toutes les personnes porteuses de la trisomie 21. 

Mais nous ne devons pas nous attarder, car la météo prévoit de se remettre au mauvais en début de soirée. Nous redescendons, et rejoignons le col. Nous quittons cet univers magique, aux paysages extraordinaires, du plateau du champ de glace Nord, pour basculer sur le glacier qui permet de rejoindre, environ 600 mètres plus bas, la tente. Le vent se lève. La descente sur le glacier ne sera pas évidente, dans une neige profonde et lourde, transformée par le soleil. 

À 17 h 30, 13 heures après notre départ, nous sommes de retour à la tente. À 19 heures, la tempête se lève.

(*) : AGU Publications. Ice thickness of the northern half of the Patagonian ice fields of South America from hig-resolution airborne gravity survey.

Points GPS depuis l’avant-dernier camp (celui sur la moraine) jusqu’à la Pointe Anne.

Cicatrice d’opération, suite à une rupture du tendon d’Achille en 2011. Depuis le début de l'expédition, elle n’aime pas trop ce qu'elle subit !

Le glacier qui mène au col (image prise lors de la redescente).

Devant nous, le col, porte d'entrée sur le Champ de glace Nord, pas d'exploration préalable connue.

Le champ de glace Nord.

Le cerro Pantagruel vu depuis le sud. Sa face nord, que nous ne voyons pas, est notre objectif.

Cerro Pantagruel vu depuis le sud.

Vers le Pantagruel. En arrière-plan, vue sur le gigantesque glacier Nef, l’un des 28 glaciers issus du champ de glace Nord. Au loin, la lagune d’eau douce dans laquelle repose le front du glacier.

La face nord du Pantagruel, avec sa neige, caractéristique de la Patagonie, sculptée par les vents de ces derniers jours. En raison des risques, nous décidons de ne pas y aller. Déception !

Nous sommes venus jusqu’ici, il faut faire quelque chose. Nous allons tenter ce sommet, par son arête.

Montée sur le sommet. En arrière-plan le cerro Pantagruel

La pointe Anne.